lundi 24 juin 2013

Héroïnes ordinaires

Je voulais revenir sur la situation des femmes en Angola, mais qui est mieux placé pour en parler que les angolaises elles-mêmes... voici 4 portraits de femmes choisis parmi une centaine dans ce recueil de témoignages, et dont j'ai tenté de faire la traduction la plus fidèle possible.


Mulher Angolana - Costa Araujo


Je suis native de Luanda. Mon métier c’est la pêche, j’ai appris avec mon mari et je crois pouvoir dire que je suis douée pour ça. On entends souvent dire que les femmes incapables d’aller en mer, mais c’est faux !
C’est un bon commerce la pêche, ça paye plutôt bien ! Je pèche à la ligne pendant que lui part en haute mer avec un filet. Normalement il y passe la nuit, il part à la tombée du jour et revient le matin suivant. Maintenant avec tous nos enfants, je ne peux plus aller pêcher aussi souvent et je me suis rabattue sur la vente des poissons, j'achète les poissons à mon mari ensuite j’attends les acheteurs sur le pas de ma porte. Je n’aime aller jusqu’au marché, mais parfois j’y suis obligée.
Vendre au marché ne rapporte presque rien, mes clientes là bas savent que je dois rentrer à Mussulo avant la tombée de la nuit, alors elles ne m’achètent rien le matin et attendent qu’il soit tard en sachant que la peur de rentrer et d’affronter mon mari sans avoir vendu ma marchandise m’obligera à baisser mes prix.
Mon mari ramène le poisson et me le vends. Je lui achète et le revends. Avec mes bénéfices j’achète de la nourriture pour la survie de toute la famille. J’achète aussi le matériel scolaire, les livres et les habits pour tous.
Il me dit que sa mission est uniquement de ramener le poisson pour me le vendre, rien d’autre, il se décharge de toute responsabilité familiale. Je n’ai aucune idée de ce qu’il fait de son argent, il n’y a que moi pour m’occuper de la maison et des enfants. Il donne seulement du poisson pour les nourrir le jour même où il rentre de la pêche, mais tous les autres jours je leur donne le poisson que je lui ai acheté.
Sur notre île, la fin de la guerre n’a pas changé grand chose, car nous avons toujours été plus ou moins en paix ici, je n’ai jamais vu d’armes de ma vie, mais j’ai entendu beaucoup d’histoires terrifiantes.
Mais nous avons nos propres guerres ici. Je connais les dangers de la mer, le vent, la pluie, les tempêtes sont nos pires ennemis. Chaque fois que mon mari part en mer j’ai le coeur serré, quand il pleut, j’ai l’esprit tourmenté et je ne parviens pas à dormir.
Les gens sur mon île ne donne aucune importance à l’éducation. Les enfants quittent l'école pour aller jouer sur la plage, les parents s’en fichent, ils ne les reprennent pas.
Les filles alors, elles n'étudient rien du tout! J’oblige mes enfants à aller a l'école, parce qu’ils ne peuvent pas être analphabètes comme nous. Mais aussi, l'école est tellement loin, j’aimerai qu’ils en construisent une dans mon quartier pour que les enfants et les adultes puissent étudier. Je sais qu’il existe des cours d'alphabétisation pour les adultes, j’aimerai qu’ils en fassent à Mussulo.
Les jeunes ici n’ont pas beaucoup d’occupation il n’y a rien à faire à part la pêche et la fête le week-end. Mais c’est dangereux parce que après avoir bu, les hommes se battent souvent à coup de tessons de bouteilles.
Si nous avions l'électricité, ce serait bien pour notre commerce, on pourrait vider et sécher le poisson de jour comme de nuit. Tout est si loin de nous, les magasins, le marché... J’ai oublié le goût du pain car nous n’en avons jamais.
Mais il est bon de vivre sur cette île sans la confusion des voitures, les enfants vivent en paix sans crainte des accidents. Et c’est beau ici non ? Je pourrais presque dire que je suis heureuse, mais mon mari m'empêche de l'être vraiment.
Malgré le travail que je fais, il continue de dire que je ne suis qu’une fainéante et qu’il n’y a que lui qui travaille, juste parce qu’il ramène le poisson alors même qu’il me le revends au lieu de me le donner. Il dépense tout son argent Dieu seul sait dans quoi, en tout cas rien qu’il n’ait jamais rapporté à la maison. Mais bon, qu’est-ce que je peux faire ?
Il est violent. Si la nourriture et son bain ne sont pas prêts quand il rentre de la mer, c’est les coups. Il m’a battu tant de fois jusqu’au sang... c’est un ingrat. Il me dit que la seule valeur de la femme c’est de faire des enfants. Mais malgré ça je m’efforce d'être heureuse, il y a des jours où il est un bon mari. Parfois seulement.

Lucinda, 23 ans



J’ai quatorze ans, je suis arrivée à Luanda quand j’en avais douze. Mes parents m’ont envoyés ici pour aider ma tante avec ses enfants. Mais elle me battait tout le temps et ne me donnait rien à manger. Un jour je suis partie, j’ai marché pendant deux jours pour retrouver l’endroit ou s'arrête le bus qui m’avait amené à Luanda la première fois, pour voir si je pourrais repartir. Mais je n’avais pas d’argent, alors j’ai passé quelque nuits là-bas dehors. Un soir des drogués m’ont violés, quelqu’un m’a conduit à l'hôpital et je suis restée là bas un petit moment, je ne sais pas combien de temps.
Mais en ressortant je ne savais pas où aller. J’ai rencontré des filles dans la rue, près des bureaux de Sonangol*, il y en avait une qui venait de Benguela comme moi ! Alors je suis restée avec elles et j’ai fais comme elles. Il y a des enfants et des adolescentes. Les hommes aiment beaucoup les petites filles. Les femmes prostituées nous détestent, elles disent qu’on détruit leur business, elles nous courent après pour nous taper et envoient la police nous chercher, mais on s’enfuit toujours. Les gardes de Sonangol sont gentils, ils nous protègent des fous et des voleurs, et nous leur donnons un peu d’argent.
Les clients nous frappent parfois ou alors à la fin il refusent de donner l’argent convenu. Le préservatif ? Certains acceptent, d’autres non. C’est dangereux, mais bon ?
Rosita là-bas, elle est de notre groupe, elle est bien malade et bien maigre, ils disent que c’est le sida.
Sinon on passe nos journées dans le parc près de l’Eglise de la Sainte Famille à mendier pour de l’argent. Certains ont pitié, d’autres nous repoussent comme des chiens.
Ah ! Un jour je rentrerai à Benguela où sont mes parents, pour étudier.

Marta, 14 ans.

*principale compagnie d’exploitation pétrolière d'Angola.



Je m‘appelle Chance (Sorte). Nom prophétique choisi par mon père. Je suis née le 27 mars 1975. Qui connait l’histoire de l’Angola sait bien ce que cette date signifie*.
Je suis née alors que de violents combats venaient d’éclater, ma famille était en fuite à la recherche d’une zone plus sûre. Ma mère a ressenti des douleurs sur le chemin et je suis née, par terre sur le bord de la route, en compagnie de mon père et de mes frères. Mon cordon ombilical fut coupé par un ongle de mon père, j’ai été nettoyé avec des feuilles de bananier et enroulée dans le pagne de ma mère.
Puis ils continuèrent la marche des jours durant jusqu'à trouver un endroit tranquille.
Mes parents m’ont dit qu’ils avaient attendu trente jours d'être surs que je survive avant de me donner un nom. Aussi incroyable que cela puisse paraître j’ai toujours été en excellente santé, je ne tombe jamais malade ! Je crois au pouvoir de vaccination de la terre, des plantes et de l’ongle de mon père.
Père a disparu peu de temps après ma naissance, mais je me suis toujours senti inexplicablement liée à lui. Dieu nous montre quelques merveilles même dans les temps les plus difficiles, j’en suis la preuve.
Aujourd’hui je suis militaire. Je me suis inspirée d’une photo de mon père que j’ai découverte quand j’étais adolescente. Il se tient devant la maison en habit militaire, droit et fier. A partir de cet instant j’ai voulu faire comme lui, j’ai senti qu’il m’avait légué son esprit de combattant.
Je suis Chance et j’en ai beaucoup, de la chance. Je suis mariée, j’ai un fils, je suis une femme heureuse.
Quand j’ai annoncé à mon mari que je partais en formation militaire, ça a failli détruire mon mariage. Il m’a dit que j’étais devenue folle, il m’a interdit d’y aller. Mais j’y suis allée quand même.
La formation a été dure, très physique. J’avais laissé ma famille loin de moi, un bébé et un mari en colère.
Après quelques mois je suis rentrée. J’ai dis à mon mari que je voulais laisser tomber à cause de la difficulté des exercices. Je ne sais pas trop comment, mais il avait changé d’avis sur la situation, il m’a dit : Maintenant celui qui ne veut pas que tu quittes ta formation, c’est moi. Tu dois t’endurcir. Je ne serai fier de t’avoir pour femme que si tu reviens avec un titre officiel.
Alors je suis repartie, j’ai tenu, et j’ai gagné deux choses, un titre d’officier et le sauvetage de mon mariage.
Aujourd’hui c’est une grande fierté pour moi d’avoir réussi et d'être un soldat de la défense de notre pays, comme mon père.

Sorte, 33 ans

*Début de la guerre civile en Angola




 J’ai 50 ans et j’habite à Sumbe depuis 30 ans. Je me suis toujours battue pour devenir quelqu’un.
Fille d’une paysanne et d’un cuisinier, j’ai souffert de la séparation de mes parents étant petite.
J’étais une enfant continuellement atteinte de maladies diverses, mes parents n’auraient pas parié cher sur ma survie. Mon père vivait avec une nouvelle femme, ma mère avec un nouveau mari. A 9km de distance. Avec mes frères et sœurs nous passions notre temps à parcourir le chemin entre ces deux maisons, mais nous n'étions vraiment à notre place dans aucun d’entre elles, comme tous les enfants issus d’un premier mariage.
Pour gagner un peu d’argent nous lavions le linge dans le fleuve et nous ramenions l‘eau au village.
Je rêvais d’une vie différente. Je voulais être intelligente et élégante comme la femme du pasteur de notre église. Porter des pantalons et des chaussures, savoir lire et parler portugais parfaitement, comme cette femme.
Un jour ma grande sœur m’a emmené à la mission catholique. Enfin, j’allais pouvoir étudier ! A 12 et 14 ans, nous avons marché plus de 20km à pieds sans chaussures. Quand nous sommes arrivées, les sœurs de la mission nous ont demandés les 150 kwanzas de l’inscription, qu'évidemment nous n’avions pas. Mais nous avons tout de même été acceptées, à condition de payer nos études par le travail. Nous nous occupions des animaux de la ferme et de la cuisine. De cette période je me suis souviens surtout de cette terrible odeur de porcs, qui s'imprégnait sur ma peau et mes vêtements, et dont, sans savon, je ne parvenais à me débarrasser.
J’ai passé l’examen d'entrée au lycée, et j’ai réussi ! Le cours était gratuit, mais il fallait tout de même emmener 2 draps, 2 uniformes et 3 paires de chaussures.
Je suis rentrée chez moi, j’ai supplié ma mère, puis mon père de me donner l’argent nécessaire. Finalement mon père est allé demande un crédit à un blanc propriétaire d’un magasin. J’ai pu tout acheter, et même plus, du savon enfin et un cartable.
Je suis entrée au lycée plus déterminée que jamais, j’ai réussi tous mes examens et je suis devenue professeur de portugais. Quand j’ai commencé à travailler, je suis retournée payer le vieux blanc du magasin, qui avait attendu pendant 5 ans.
Et petit à petit, j’ai vu se réaliser tous mes rêves d’enfant. Acheter des chaussures, me promener propre et bien habillée comme la femme du pasteur, acheter une jolie bicyclette avec laquelle j’allais partout fièrement.
J’allais dans le centre ville et je regardais les maisons et les immeubles, en me disant un jour j’habiterai là. Dans un bel endroit sans pourriture, avec une salle de bains. Ce rêve aussi je l’ai réalisé quelques années plus tard.
J’ai toujours continué à étudier en cours du soir. J’ai même obtenu une bourse pour entrer à l’institut supérieur des sciences de l'éducation. J’ai été directrice pédagogique d’un collège. Aujourd’hui je suis directrice d’un lycée. J’ai voyagé dans d’autres pays d'Afrique et même en Europe.
Je suis une mère heureuse, mes 4 enfants sont déjà tous en train de faire leurs vies, 3 d’entre deux suivent des études supérieures. Une de mes fille est même partie étudier en Afrique du sud, elle parle anglais couramment.
La vie des femmes aujourd’hui est meilleure qu’avant, mais le bout du chemin est encore si loin. La participation des femmes dans le milieu social, politique et économique est un facteur du développement qui n’existait absolument pas avant la fin de la guerre, mais pour 90% des femmes vivant dans les campagnes, c’est encore quelque chose de totalement inimaginable. La plupart sont toujours analphabètes, alors comprendre quelque chose à la politique...
Avec la paix, c’est dans les zones rurales que devraient se concentrer les efforts pour que les femmes puissent se faire entendre et puissent bénéficier elles aussi du développement du pays. Les élections politiques sont un domaine dans lequel le travail est énorme pour les femmes puissent conquérir une place. Nous devons voter, mais aussi nous présenter nous même pour être élues ! L’issue du chemin dépend de nous toutes, mes sœurs.

Rosalina, 50 ans.





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